L’anorexie mentale prépubère ou à début précoce est une maladie rare, grave et peu connue dont les premiers symptômes peuvent se manifester chez l’enfant dès l’âge de 7-8 ans. Cette pathologie associe un amaigrissement, un refus de maintenir un poids minimum normal pour l’âge, une peur intense de prendre du poids, une altération de la perception de la forme du corps (l’enfant se trouve trop gros alors qu’il est trop maigre).

Les enfants avec une anorexie mentale requièrent une prise en charge pluridisciplinaire : nutritionnelle, pédopsychiatrique, somatique et psycho-socio-éducative. En effet, cette maladie a de multiples répercussions sur l’ensemble des organes : cœur, cerveau, os, peau, ainsi que sur le plan neuro-endocrinien.

Dr C. Stordeur : Chez l’enfant qu’elles sont les répercussions de l’anorexie mentale sur les os et sur la croissance ?

Pr J. Léger : « Il faut voir différemment les os et la croissance.

La répercussion sur l’os aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte va être détecté sur l’étude de la masse osseuse. Une diminution progressive de la masse osseuse, voir une vraie ostéopénie peut survenir. Par conséquent, si l’anorexie mentale est sévère et persiste longtemps, le risque fracturaire est plus élevé. Les études chez l’adulte avec anorexie mentale ont bien montré ce risque fracturaire plus élevé que dans la population générale.

Nous venons de terminer (avec l’équipe de pédopsychiatrie de l’unité TCA de Robert Debré) une étude qui confirme la diminution de la masse osseuse chez l’enfant avec anorexie mentale à début précoce. Chez l’enfant la particularité par rapport à l’adulte est que l’os est en croissance et acquiert progressivement de la masse osseuse. Cette étude qui a évalué une soixantaine d’enfants, à des degrés variables de sévérité et à des âges variables a permis l’analyse de la masse osseuse en fonction du stade de puberté ce qui permet de bien montrer la carence de l’acquisition de la masse osseuse et donc l’effet délétère de la survenue d’une anorexie mentale à cette période de la vie.

Pour ce qui est de la croissance, chez l’enfant, il y a un effet délétère sur la croissance staturale qui va être d’autant plus important que l’anorexie est sévère et que sa durée est longue. Ce ralentissement

de croissance voire même cet arrêt total de la croissance peut durer plusieurs mois voire plusieurs années, en parallèle avec l’arrêt de progression de la puberté.

Chez l’enfant plus grand, qui aurait déjà fait sa puberté avec la survenue des premières règles chez la fille, une aménorrhée secondaire peut survenir, conséquence d’une hypoestrogénie en relation avec une inhibition du contrôle hormonal au niveau du cerveau.

Généralement, la croissance staturale reprend après l’amélioration pondérale. Cependant on peut parfois observer une perte staturale définitive en relation avec l’absence d’un rattrapage complet de la croissance, même si l’enfant a repris du poids.

Dr C. Stordeur : Comment mesure- t- on ces répercussions à la fois sur l’os et sur la croissance ?

Pr J. Léger : « Pour l’os, c’est grâce à l’absorptiométrie biphotonique (ou ostéodensitométrie) qui permet de mesurer le contenu minéral osseux que l’on mesure sur le corps entier et particulièrement sur le rachis. En parallèle, les paramètres biologiques phosphocalciques sont étudiés pour vérifier que l’enfant ne soit pas en carence de vitamine D, et que l’apport en calcium alimentaire soit suffisant. Il n’est pas rare qu’une supplémentation en calcium et en vitamine D soit nécessaire.

Dr C. Stordeur : Les conséquences sont-elles irréversibles, y a-t-il un moyen de les prévenir ?

Pr J. Léger : « Dès qu’il y a une diminution notable de la nutrition, l’impact sur l’évolution de la puberté, de la croissance et l’impact sur la masse osseuse peuvent survenir. Les conséquences ne peuvent pas être prévenues. Normalement, elles ne sont pas irréversibles puisque l’amélioration du statut nutritionnel et l’amélioration de la maladie (diminution des comportements anorexiques) vont permettre une reprise de l’évolution de la puberté, une amélioration de l’acquisition de la masse osseuse et la reprise d’une vitesse de croissance staturale normale voire même parfois un rattrapage caractérisé par vitesse de croissance accélérée, si l’arrêt de croissance a été prolongé. »

 

Dr C. Stordeur : Y a-t-il des traitements systématiques à proposer dans un contexte d’anorexie mentale de l’enfant ?

Pr J. Léger : « Non pas pour prévenir mais, pour ne pas aggraver. On va favoriser un apport en calcium et en vitamine D le plus optimisé possible. Les recommandations à cet âge-là sont d’environ 1 000 mg de calcium / jour.

Bien souvent un enfant n’a pas des apports journaliers suffisants en calcium, indépendamment du fait qu’il ait une pathologie ou pas. Un bon bol de lait correspond à 350 mg de calcium et une part de fromage à pâte dur (comme le comté, l’emmental) contient 100 à 120 mg de calcium. Un yaourt nature ou un fromage blanc contient 140 mg de calcium (plus qu’un yaourt ou fromage blanc aux fruits). Il faut donc au moins 4 produits laitiers par jour (dont deux bols de lait) pour couvrir les besoins journaliers en calcium à cet âge.

Il ne faut pas non plus que l’enfant soit carencé en vitamine D. Pour que le niveau de vitamine D soit satisfaisant, il faut qu’il reçoive 2 ou 3 ampoules de vitamine D par an ou des gouttes administrées quotidiennement. »

 

Dr C. Stordeur : Y a-t-il des traitements spécifiques pour les enfants qui ont traversé une période d’anorexie et qui ne recommencent pas à grandir, malgré une renutrition adaptée et un IMC satisfaisant ?

Pr J. Léger : « Les études sur l’évolution de la croissance spontanée après anorexie mentale montre que la majorité des patients rattrapent une croissance normale et que finalement ils auront une taille adulte normale en rapport avec leur taille cible génétique. Cependant environ un tiers des patients qu’on prend en charge pendant la période pédiatrique ne va pas atteindre sa taille cible c’est-à-dire qu’ils ont un rattrapage incomplet de leur croissance. Dans les formes les plus graves, certains (une minorité de patients) ne rattrapent pas du tout.

Chez ceux pour lequel le rattrapage ne se produit pas et pour lequel l’arrêt de croissance perdure dans le temps, nous avons, à l’hôpital Robert Debré, un essai thérapeutique par l’hormone de croissance qui vise à montrer si le traitement par l’hormone de croissance est efficace pour améliorer la vitesse de croissance de ces patients. Nos premiers résultats montrent une efficacité et l’absence d’effets secondaires indésirables. Cependant, il faut plus de temps et plus de patients traités en comparaison avec des enfants qui recevraient un placebo, pour démontrer de manière certaine l’efficacité de ce traitement pour améliorer la croissance de ces patients qui représentent un faible pourcentage des patients que nous suivons. »

Propos recueillis par le Dr Coline Stordeur, pédopsychiatre.

Le Professeur Juliane Léger est endocrinologue pédiatre à l’hôpital Universitaire Robert Debré, dans le service d’endocrinologie pédiatrique et coordonne le Centre de Référence Maladies Rares Endocriniennes de la Croissance et du Développement. Elle collabore notamment avec l’équipe du Dr Coline Stordeur, pédopsychiatre à l’hôpital Universitaire R. Debré, responsable du Pôle Trouble du Comportement Alimentaire de l’Enfant et co-responsable du Centre de Référence Maladie Rare Anorexie Mentale à début Précoce.


Références

Auteurs

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Rédigé par Dr Coline Stordeur

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